Les plans du gouvernement pour les associations et pour l’Économie Sociale et Solidaire : en total décalage avec les dynamiques citoyennes !
Jeudi 29 novembre, le gouvernement annonçait par la voix de Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale, « Un plan d’action pour une politique de vie associative ambitieuse et le développement d’une société de l’engagement » et par celle de Christophe Itier, Haut-commissaire à l’Économie Sociale et Solidaire et à l’Innovation sociale, un « Pacte de croissance de l’Économie Sociale et Solidaire ». Rappelons que 80 % des structures de l’ESS sont des associations. Les deux communications doivent donc être examinées ensemble afin d’en saisir la véritable portée.
Sur la méthode, le défaut de prise en compte des acteurs (et des collectivités territoriales) domine. La mobilisation des associations suite à la suppression brutale des emplois aidés a permis le lancement d’une « concertation » avec les associations en novembre 2017. Toutefois, après une consultation menée tambour battant en deux mois et demi et la remise par les réseaux associatifs d’un rapport comprenant 59 propositions débattues et partagées, il a fallu attendre six mois pour que le gouvernement annonce ses propositions. Le « Plan de croissance de l’ESS » quant à lui, n’a fait l’objet d’aucune discussion avec les acteurs de l’ESS (le conseil supérieur de l’ESS, espace de dialogue avec l’État, n’a pas été réuni en 2018).
La méthode adoptée témoigne du peu de considération pour les difficultés que voient et vivent ces acteurs qui agissent et entreprennent quotidiennement au plus près des besoins de nos concitoyens.
Les deux plans publiés le 29 novembre sont bien loin de répondre à l’urgence de la situation. Aucun ne témoigne d’une ambition réelle pour un bien-vivre ensemble solidaire. Ambition pourtant nécessaire dans une période où les mouvements sociaux et les mouvements citoyens posent des questions fondamentales sur la politique actuelle qui accroît les inégalités, concentre les richesses, limite la démocratie et détruit les protections sociales… Politique menée en contradiction avec les aspirations de la grande majorité de la population à plus de justice sociale. L’irruption des manifestions Gilets Jaunes -à leur manière- expriment le mal-être flagrant de la société.
Aucun changement de cap n’est annoncé pour tenir compte de la nécessaire transition solidaire, sociale, culturelle et écologique, qui passe d’abord par une co-construction assumée entre l’action publique et les initiatives citoyennes qui créent la richesse collective et solidaire.
Le plan pour la vie associative se caractérise surtout par « l’ouverture de travaux à venir »…et l’absence de moyens, ne serait-ce que pour compenser le 1,8 milliard d’euros de pertes de financement, en deux ans du fait de la disparition des emplois aidés. Aucune mesure budgétaire nouvelle n’est prévue pour 2019.
On note bien l’ouverture de postes Fonjep, mais il est évident que 1000 postes seront bien insuffisants alors que, pour la première fois, les emplois du secteur associatif sont en baisse. Rien que dans le secteur culturel, c’est 6000 emplois associatifs qui ont été détruit ces dernières années[1]. Et on apprend que le nombre de contrats aidés en Parcours emploi compétences va être divisé par deux en 2019.
Cette politique détruit le tissu associatif dans les villes, les quartiers, les campagnes et casse toujours plus les solidarités locales que les associations maintiennent encore, avec difficulté. Cette politique témoigne aussi d’une injonction toujours plus forte à se soumettre au marché et à la concurrence. Les associations et les initiatives solidaires sont sommées d’adopter le modèle lucratif et capitalistique, de s’endetter auprès des banques et des fonds d’investissement dominés par les multinationales, de séduire les grandes entreprises pour espérer quelques subsides. L’annonce de mesures pour créer une culture « de la philanthropie à la française », sur le modèle du philanthro-business étasunien l’illustre bien. Elle est mise en avant alors que la philanthropie sous toutes ses formes (fondations, mécénat, financement participatif…) ne représente que 4 % des ressources des associations (et ne concerne, en grande majorité, que les plus grosses structures).
Nous réaffirmons que le véritable enjeu est ailleurs. On ne peut pas faire l’impasse sur l’apport des associations à la promotion de l’intérêt collectif et à la défense de l’intérêt général. Les associations sont des espaces de démocratie, d’entraide et de pouvoir d’agir. Elles proposent des services de qualité à haute valeur humaine à toutes et à tous, et notamment aux personnes qui souffrent le plus du fractionnement de la société, de la disparition des services publics, des difficultés d’exercice de leurs droits sociaux et culturels. Et pourtant, elles ont « perdu » 16 milliards de subventions en 12 ans. Rappelons que dans le même temps, la dépense publique n’a jamais été aussi forte et que le CICE disposait d’un budget de l’ordre de 20 milliards d’euros pour un résultat dont on ne peut que constater le peu d’impact.
Pour l’ESS, la démarche et les propositions sont de la même veine. Déclaration d’amour à l’alternative et au pilier que représente l’ESS, mais soumission au business… Si certaines mesures peuvent aller dans le sens d’un soutien technique aux initiatives de l’ESS, la philosophie du plan est toute contenue dans l’institution du « French impact » avec développement de fonds et de « contrats à impact social », sur le modèle des PPP (partenariat public-privé), véritable « bombe à retardement pour les finances publiques » comme le note le Sénat[2]. Des contrats trop complaisants avec la finance, comme le souligne la Cour des comptes européenne.
Culture de l’endettement, recours au mécénat, généralisation des marchés publics au détriment de la subvention, désignation d’une vingtaine d’entreprises dites « pionnières », ouverture du service civique aux sociétés commerciales ESUS,… le sens de la politique menée est clair. L’allègement, de droit commun, des cotisations sociales, mis en place en 2019, doit apporter 1,4 milliard d’euros aux entreprises employeuses (mesure qui bénéficiera aussi à toutes les entreprises hors ESS). Peut-on s’en réjouir ? Non, si on en considère les conséquences sur le financement de la protection sociale, détruite petit à petit… Pour la période 2018/2022 Christophe Itier annonce la mobilisation de 340 millions d’euros (dont seulement 90 millions au budget de l’État, 150 millions dans le cadre du renouvellement de sa convention avec la Caisse des Dépôts, 21 millions d’euros apportés par BPI France et 80 millions d’investisseurs privés potentiels). Mais dans le même moment, dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances (PLF) 2019, c’est déjà 2 millions d’euros qui sont retirés au dispositif local d’accompagnement (DLA), qui a pourtant fait ses preuves dans l’accompagnement des associations…
Pendant ce temps, la politique de concentration financière s’accentue dans le social comme dans le culturel ; les multinationales s’implantent et dictent leurs règles (grands projets, lobbying, accords de libre-échange…), sans qu’aucune régulation ne soit proposée.
Deux plans en trompe-l’œil donc. Deux plans en décalage avec la situation de la France à un moment où la transition écologique, sociale, climatique, culturelle est déjà portée par des mobilisations sociales importantes.
Deux plans qui laissent de côté la culture de la solidarité, l’action collective et l’intérêt général.
Deux plans incapables de prendre en compte la formidable énergie des citoyennes et citoyens et la diversité foisonnante des initiatives pour mener les transformations sociales et écologiques, pour préserver notre capacité à bien vivre ensemble.
Nous demandons plus.
Nous demandons mieux.
C’est urgent !
Contacts :
Pour le Collectif des Associations Citoyennes (CAC) : contact@associations-citoyennes.net // 01 48 07 86 16
Pour le Mouvement pour l’Économie Solidaire (MES) : contact@le-mes.org // 01 42 49 53 64