La portée croissante des nouveaux accords de commerce réduit les marges de manœuvre politiques des États et impose de nouvelles règles de discipline qui s’appliquent à l’élaboration de l’ensemble des politiques publiques.
Le CETA et le TAFTA ont illustré à quel point les négociations commerciales et les processus de ratification des accords souffrent d’un cruel déficit de transparence et de contrôle démocratique et font la part belle aux intérêts des plus grandes entreprises. Dès le début des négociations, les lobbyistes du secteur privé ont été intensivement consultés tandis que les représentants de groupes d’intérêt général, les parlementaires, les collectivités locales et les citoyens ont été tenus à l’écart. Cette opacité et ce manque de participation démocratique ont fortement alimenté les controverses autour de la ratification du CETA.
Cette expérience invite à revisiter en profondeur les procédures actuelles de négociation des accords de commerce et d’investissement. Seul un processus transparent et démocratique depuis le lancement des négociations, à la fois aux niveaux national et européen, peut garantir que les accords commerciaux bénéficieront au plus grand nombre et recevront par conséquent un large soutien.
L’objectif est de démocratiser le processus d’élaboration de la politique commerciale européenne en impliquant le Parlement européen, les parlements nationaux, la société civile et en encourageant le débat public, dans la transparence.
Ces questions ne sont pas seulement techniques mais aussi politiques. Les propositions récentes de la Commission européenne, qui visent à exclure le volet investissement des accords de commerce à venir afin d’éviter la ratification par les parlements nationaux, ne doivent pas conduire à diminuer encore le contrôle démocratique et le débat public sur cette politique. Toute accélération du processus au détriment de la participation démocratique ne serait pas acceptable.
Cet effort de démocratisation de la politique européenne de commerce et d’investissement doit reposer sur les principes et les propositions suivantes :
Principes directeurs
Le commerce n’est pas une fin en soi. Il constitue un moyen d’atteindre des objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Pour cela, l’objectif prioritaire des accords de commerce et d’investissement ne doit pas être la libéralisation des échanges et la réduction des coûts pour les entreprises mais leur contribution à des objectifs d’intérêt général supérieurs tels que la promotion d’emplois décents, la lutte contre le changement climatique, la protection des droits et de la santé des citoyens, la justice fiscale et la stabilité financière. Cela signifie que la politique commerciale doit non seulement être compatible avec le respect et la mise en œuvre des droits humains et des autres traités et accords internationaux tels que les conventions de l’OIT, l’accord de Paris sur le Climat, la convention sur la biodiversité, les objectifs de développement durable, etc. mais en assurer la promotion.
Neuf mesures pour un processus démocratique
1. Conduire des consultations publiques transparentes et ouvertes en amont de la préparation des mandats de négociation
La Commission doit organiser des consultations transparentes et ouvertes dès la phase initiale qui précède le lancement des négociations, en amont de la préparation du mandat, sans préjuger du résultat. Elles doivent être nourries par les résultats rendus publics d’études d’impacts couvrant l’ensemble des domaines ciblés. La Commission doit ensuite publier le projet de mandat dès que possible pour permettre la tenue d’un débat approfondi et sérieux au sein des parlements et de la société civile. Toutes les contributions versées lors des consultations devraient être rendues publiques.
2. Garantir une participation équilibrée des différentes parties prenantes depuis la préparation du mandat jusqu’au processus de ratification
Toutes les parties prenantes doivent bénéficier d’opportunités égales de formuler des propositions auprès des responsables politiques avant, pendant et après les négociations d’un accord de commerce et d’investissement. Les gouvernements et la Commission doivent s’assurer de cet équilibre dans leurs interactions avec les parties prenantes à la fois quantitativement et qualitativement. Cela suppose de solliciter des contributions de la part de groupes représentatifs et d’intérêt général sous représentés et de limiter les interactions avec les groupes de lobbyistes du secteur privés, sur représentés. Les contacts avec les groupes d’intérêts doivent être rendus automatiquement publics. La Commission devrait s’abstenir de solliciter bilatéralement des contributions de la part de groupes d’intérêts qui refusent ces règles minimales de transparence.
3. Approbation des mandats de négociations par les parlements européen et nationaux
Les mandats de négociations des accords de commerce et d’investissement ne peuvent plus être discutés et approuvés seulement par le Conseil : le Parlement européen doit également se prononcer. Quant aux gouvernements des États membres, ils devraient soumettre les mandats à leurs parlements pour obtenir également leur approbation. Les mandats doivent avoir une durée limitée dans le temps.
4. Renforcer le rôle des Directions générales (DG) et des Ministères au service d’objectifs d’intérêt général dans les négociations
Pour garantir que les objectifs sociaux, environnementaux et économiques, ainsi que l’intérêt général priment sur les intérêts commerciaux, d’autres DG et ministères doivent être associés de façon beaucoup plus importante dans la conduite de la politique commerciale à toutes les étapes du processus.
5. Publier tous les mandats et les documents de négociations
Tous les mandats, les offres de négociations et les textes consolidés, ainsi que les contributions des parties prenantes doivent être publiés sans retard et accessibles facilement.
6. Donner aux parlements la capacité d’influer sur le processus de négociation
Le Parlement européen et les parlements des États membres doivent recevoir des informations détaillées et à jour ainsi que les textes de négociation. La loi allemande de coopération entre le gouvernement fédéral et le Bundestag sur les aspects relatifs à l’Union européenne peut servir d’exemple dans ce domaine pour améliorer le droit à l’information des parlementaires. Les parlements doivent être en mesure de soumettre à la Commission des recommandations pour les négociations qu’elle doit impérativement examiner. Tous ces débats devraient être publics et permettre des contributions de la part de toutes les organisations de la société civile intéressées.
7. Ouvrir un large débat parlementaire avant la signature et la ratification des accords
Le parlement européen et les parlements des États membres doivent conduire un large débat en leur sein dès que les accords sont disponibles dans leur langue. Cela suppose de permettre aux commissions concernées d’évaluer l’accord avec la participation de différents groupes d’intérêts en amont du vote et avant que les États membres ne se prononcent au Conseil. Cela suppose également de conduire et publier une évaluation complète et à jour des bénéfices et des risques liés à cet accord. Les parlements doivent avoir la possibilité de renvoyer l’accord sur la table des négociations y compris après leur conclusion.
8. Supprimer l’application provisoire pour les accords de commerce et d’investissement mixtes
La pratique de la mise en application provisoire des accords internationaux a été conçue pour les situations d’urgence et non pour les accords de commerce et d’investissement. Ce type d’accords ne devrait entrer en application qu’au terme d’une ratification complète.
9. Limiter la durée dans le temps des accords conclus avec une possibilité de prolongation
La résiliation des accords internationaux conclus par l’UE est extrêmement difficile. Elle doit être proposée par la Commission au Conseil et la décision se prend à la majorité qualifiée, voire à l’unanimité, avec l’accord du Parlement européen. Cette procédure prive les gouvernements futurs de la capacité d’évaluer et de revoir les accords de commerce qui ont été conclus par les gouvernements précédents. C’est pourquoi tout accord de commerce négocié par l’UE devrait être conclu seulement pour une période de temps donnée, avec la possibilité pour les deux parties de le prolonger. Par ailleurs, le Parlement européen et les parlements des États membres doivent avoir le droit d’exiger une révision complète ou partielle des accords de commerce et d’investissement sur la base des études d’impacts sur le développement durable et les droits humains conduites a posteriori. S’il faut d’abord et avant tout privilégier la discussion et la négociation, il faut aussi disposer des outils permettant de lever les paralysies éventuelles. Tel est l’objet du droit à la dénonciation partielle.
Certaines de ces mesures peuvent être mises en œuvre immédiatement, d’autres nécessitent une réforme plus approfondie des institutions concernées. L’ensemble de ces propositions constitue une feuille de route pour remettre la politique européenne de commerce et d’investissement au service de la société.
Paris le 30 janvier 2018
Les organisations signataires :
Amis de la Terre
Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs, AITEC
Association Léo Lagrange pour la Défense des consommateurs
ATTAC
Bio consom’acteurs
CERAS
Collectif Éthique sur l’Étiquette
Collectif Roosevelt
Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement, CCFD-Terre Solidaire
Comité Pauvreté et Politique
Commerce Équitable France
Confédération Française des Travailleurs Chrétiens, CFTC
Confédération Française de l’Encadrement, CFE-CGC
Confédération Générale du Travail, CGT
Foi et Justice Afrique Europe
Fondation pour la Nature et l’Homme
foodwatch France
France Amérique Latine
Institut Veblen
Ligue des Droits de l’Homme
Mouvement pour l’Économie Solidaire, MES
Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne, MRJC
Secours Catholique
Sherpa
Terre des Hommes
Union syndicale Solidaires