Face au constat alarmant que « [ …] depuis plus d’une décennie, le monde associatif traverse des difficultés liées en grande partie à une évolution des cadres qui régissent les rapports entre pouvoirs publics et associations, » le bureau du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adressé une saisine à sa commission économie et finances sur le modèle de financement du monde associatif.
Dans sa saisine le CESE déclare : « 20 millions de bénévoles animent plus de 1,5 million d’associations sur notre territoire » l’évolution à la baisse des financements des associations et les évolutions tant conjoncturelles que structurelles mettent en difficultés le monde associatif français : « Cette évolution est marquée notamment par la baisse des subventions et des financements dans la part des recettes associatives (-41% entre 2005 et 2017) et, pour compenser cette baisse, l’augmentation de ressources marchandes (+34,6%)2 notamment à travers des réponses à des appels d’offres. Ce faisant, les associations peuvent s’éloigner de leurs missions premières en accentuant des logiques concurrentielles et peuvent se détourner de leurs publics cibles, notamment les personnes les plus précaires ou les plus fragiles
Dans un contexte de stagnation des dons et du mécénat, l’augmentation de la part des recettes commerciales dans les recettes totales fait courir un risque de basculement des associations dans une fiscalité de droit commun. Un tel changement (déjà à l’œuvre dans les secteurs de l’aide à la personne, des EHPAD ou de la culture) pourrait aggraver le phénomène de fermetures d’associations, tendance amorcée depuis quelques années : entre 2011 et 2017, ce tissu multisectoriel porteur d’activités d’intérêt général a vu disparaître des associations employeuses8// qu’elles rencontrent, le CESE va analyser les différents modèles économiques associatifs et établir des préconisations afin de maintenir ces structures essentielles à la cohésion sociale. »
Pour nourrir sa réflexion sur le sujet, le CESE a lancé du 23 janvier au14 février 2024 une grande consultation pour recueillir l’avis des responsables et trésoriers d’association, qui a recueilli plus de 6500 réponses, issue d’associations de petite ou grande taille, de tout le territoire et de différents secteurs. Les réponses sont à l’étude et constitueront une base à une journée délibérative organisée au CESE le 20 mars au cours de laquelle un panel de personnes ayant répondu au questionnaire et volontaires pourront débattre et échanger avec les rapporteurs Dominique Joseph (Groupe Santé & Citoyenneté) et Martin Bobel (Groupe des associations) au nom de la Commission Economie et finances. Partageant les expériences et idées des associations présentes, les rapporteurs vont ainsi pouvoir prolonger leur réflexion et enrichir leurs propositions.
Avec le même objectif, la Commission a également effectué la visite de la ressourcerie "La Petite Rockette" à Paris et eu des échanges avec 9 responsables associatifs issus de différents secteurs (social, sportif, environnemental, culturel…) et les membres du CESE à la mairie d’arrondissement du 11e. Découvrez le reportage vidéo de ce déplacement.
Par ailleurs la Commission a organisé une série d’auditions, qui ont donné lieu a des interviews vidéo que vous pouvez retrouver ici
Parmi ces auditions nous retiendrons l’interview de Maxime Baduel, Délégué ministériel à l’économie sociale et solidaire. Au-delà de définir son rôle et de présenter la feuille de route gouvernementale qui s’appuie sur trois briques :
• la consolidation de l’ESS à l’échelle territoriale, par le renforcement des services déconcentrés de l’État sur ces sujet, par le renforcement des CRESS
• le développement des modes d’entreprendre dans l’ESS, que ce soit coopératives, entreprises sociales, notamment via l’agrément ESUS ou la réflexion sur les modèles économiques et la pérennité économique des associations
• le volet du financement et de l’investissement, que ce soit par les banques publiques BPI et Banque des Territoires et plus largement le développement de la finance solidaire, l’accès à l’épargne citoyenne et aux fonds européens,
Maxime Baduel constate que « les associations sont en train de vivre la lame de fond de la crise sanitaire, de la crise économique, qu’elles vont avoir dans les prochains mois, années, des trésoreries qui vont être difficiles, qui vont fondre . », ajoutant : « Il est de notre devoir de réfléchir aussi au renforcement de leur fonds propres que ce soit par le développement de titres associatifs, comme cela a été fait, ou par d’autres instruments de financement, par une réflexion sur leurs charges , par exemple la taxe sur les salaires. Toutes les options, toutes les solutions sont sur la table et nous souhaitons discuter aussi bien avec le Mouvement associatif que l’ensemble des représentants du monde de associatif, pour trouver les bons leviers pour aider et être au soutien des associations »
Pour atteindre l’objectif d’un meilleur accès aux financement publics et privés des associations, Maxime Baduel nous propose trois axes d’actions qui permettent de soutenir les associations par du financement :
• Soutenir la générosité du public qui peut passer aussi par de l’épargne en fléchant l’épargne du Livret A et du livret développement durable solidaire vers les structures de l’ESS et notamment les structures associatives. En permettant l’application d’unité de compte solidaire dans les assurances vie tel que prévue par la loi pacte.
• Travailler sur les instruments existants. Les titres associatifs sont aujourd’hui dans une période d’inflation, de taux d’intérêt élevés et peuvent paraitre à coté des besoins, des ressources des structures associatives. Il faut que l’on puisse travailler ensemble à ces leviers
• Développer la finance solidaire qui est le poumon financier de l’économie sociale et solidaire, l’État souhaite déplafonner les fonds 90/10 pour permettre que jusqu’à 15 % de ces fonds soient dédiés à des actions de solidarités, aux structures de l’ESS, aussi bien que le développement des fonds ESUS et de tous les fonds d’investissement fléchés vers l’ESS.
Des propositions certes intéressantes mais qui s’appuient essentiellement sur la générosité des citoyens et ne prévoit aucun engagement de l’état .
Dans le cadre de l’audition de l’Observatoire de la Marchandisation des Associations, le MES et le CAC ont proposé un certain nombre de Préconisations :
1/Rappeler qu’il est aujourd’hui essentiel de défendre le modèle associatif français et sa définition première de la subvention dans un contexte de politique européenne qui pousse, via la vision de l’entrepreneuriat social et la notion de lucrativité limitée, vers un isomorphisme marchand au détriment de l’intérêt général.
2/ mettre en place une loi de programmation sur l’ESS, sans oublier les associations qui en constituent la majeure partie, donnerait un cap politique et budgétaire à cet écosystème à même de proposer des alternatives face aux grands enjeux de bifurcation écologique et sociale.
3/La nécessité de (re)donner du souffle à la notion de co-construction, de relation partenariale avec les collectivités territoriales, viendrait contrer un processus d’instrumentalisation des associations qui les cantonne à exécuter des politiques publiques décidées sans elles. L’histoire associative montre que les initiatives citoyennes sont souvent à la racine de nos institutions et dispositifs sociaux. Dans ce cadre, il est nécessaire d’encourager des espaces de diagnostic et de stratégie partagée au niveau territorial.
3/ Valoriser les expériences de partenariats avec des Conventions Pluriannuelles d’Objectifs longues (5 ans) entre association/collectivités locales, des exemples de ce type de relation existe déjà par exemple à Rennes ou à Nantes.
5/ Le besoin d’appui à la recherche associative non lucrative, coopérative : Créer des espaces de recherches-action (l’autre versant de la recherche, qui constitue un besoin social aussi légitime et ne coûte pas plus cher, tout en étant très complémentaire à la recherche fondamentale parce plus proche du terrain, plus concrète et plus dans les pratiques (métiers, partenariat, droit,...). Ces recherches se mènent et se mettent en lien sur le long terme, ce qui implique de travailler la sécurité du travail réalisé par les parties prenantes (notamment les gouvernances et les salariées). Ce besoin était très partiellement rempli par le "Fonjep recherche" qui vient de disparaître alors qu’il était essentiel.
6/ Quelques pistes et réflexions sur les financements
• - Rendre effective la redistribution des biens mal acquis à des associations, des fédérations comme l’autorise maintenant la loi. Désormais, en application de la loi du 8 avril 2021 améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, les associations d’intérêt général, les associations et fondations reconnues d’utilité publique pourront bénéficier temporairement des biens mal-acquis ayant fait l’objet d’une décision de confiscation définitive par les tribunaux.
• Reconnaissance des réseaux et de leur financement : Un des points assez central dans le phénomène de marchandisation est l’insuffisante reconnaissance de réseaux et coordinations en tant que corps intermédiaires au sein de l’ESS et leur non financement. Ces espaces créés pour dialoguer avec les pouvoirs publics le font aujourd’hui quasi gratuitement !
• Souligner la question de la gestion d’une association et l’importance de pouvoir constituer des fonds propres. Proposition : dédier 10% à 20% de la subvention de fonctionnement ou de projet accordé à la constitution de fonds propres pour pouvoir assumer les obligations employeurs (fonds en cas de difficultés économiques et possibilité de garantir un cadre à une équipe salariée, réserves obligatoires pour les retraites etc.).
• Créer un fonds public mutualisé de trésorerie.
• Revenir sur la requalification fiscale des associations qui auraient quelques activités commerciales sur la base du principe de concurrence. Différencier d’une structure commerciale de ces structures associatives non lucrative définie par la gouvernance et le réinvestissement des excédents dans la structure (non partage des bénéfices).
• Enfin, la défense de l’association comme espace d’expression, de construction des colères, d’exercice et de construction des droits culturels, sociaux, politiques, économiques, de participation pleine à la vie de la cité, d’invention des alternatives pour la rendre plus démocratique, écologique et sociale passe par des financements pérennes et dans le temps long, consolidés par des instances de gestion démocratiques et citoyennes.
En attendant, le CESE nous donne rendez-vous le 28 mai à 14h30 à la séance plénière pour découvrir les préconisations et les propositions du CESE sur le financement des associations.